Appel pour la libération d’Idil Eser et des défenseurs des droits humains en Turquie
|Une dizaine de militants des droits de l’homme, dont la directrice d’Amnesty en Turquie, ont été entendus lundi au tribunal d’Istanbul et sont maintenus en détention.
Tribune publié dans Libération le 17.07.2017
Mercredi 5 juillet au matin, la police turque arrêtait dix défenseurs des droits humains qui participaient à un séminaire de formation dans un hôtel d’Istanbul. Parmi les personnes arrêtées, Idil Eser, directrice d’Amnesty International en Turquie. Un mois plus tôt, c’est son président, Taner Kiliç, qui était arrêté avec 21 autres avocats.
Les «Dix d’Istanbul» sont mis en cause pour «appartenance à une organisation terroriste armée». Ils sont présentés dans les médias officiels turcs comme des agents et des espions. Pendant 28 heures, ils ont été détenus dans un lieu secret, sans aucun contact avec l’extérieur, ni famille, ni avocat. Leur garde à vue a été prolongée le 6 juillet, puis le 11.
Le 18 juillet, au terme de 12 jours de garde à vue, la justice turque a placé 6 défenseurs des droits humains, dont Idil Eser, en détention provisoire dans l’attente de leur procès. 4 d’entre eux ont été placés en liberté conditionnelle. Tous sont inculpés sans fondement de «commission d’un crime au nom d’une organisation terroriste sans en être membre».
Les 10 défenseurs risquent jusqu’à 10 ans de prison.
Absurde et scandaleux ? Oui, mais une scène quotidienne dans la Turquie d’aujourd’hui.
L’arrestation d’Idil Eser a été médiatisée autant en France que dans le monde. Avant elle, celle de l’écrivaine et journaliste Asli Erdogan en août 2016 et celle du journaliste Mathias Depardon en mai dernier avaient fait couler beaucoup d’encre.
Ces arrestations laissent apparaître un futur de plus en plus sombre pour la défense des droits humains est désormais considéré comme un crime. Depuis un an, et le coup d’Etat avorté, ces arrestations, d’exceptionnelles, sont devenues la norme. Les autorités turques ont certes le droit et le devoir de poursuivre en justice les responsables du coup d’Etat manqué. Mais il est évident que celui-ci est devenu le prétexte à la mise au pas de toutes les voix critiques du pouvoir en Turquie. Selon des estimations basses, plus de 50 000 personnes ont été détenues et arrêtées depuis le 15 juillet dernier. En moyenne, 136 personnes par jour. Parmi elles, au moins 130 journalistes, 12 députés d’opposition kurdes, des dizaines d’avocats, de juges, d’intellectuels et d’universitaires. Près de 160 médias et 400 ONG ont été fermés, plus de 110 000 personnes ont été limogées.
Le séminaire de formation durant lequel Idil et ses collègues ont été arrêtés visait précisément à faire face à un environnement devenu de plus en plus hostile et menaçant. Quelles règles de sécurité, physiques, aussi bien que numériques, mettre en place pour ne pas être espionnés, hackés, harcelés, menacés ? Comment garder le moral dans un contexte de stress intense où voir ses amis et collègues arrêtés est devenu une habitude, où l’on peut être le prochain sur la liste, dans l’unique but de vous faire taire ?
Dans cette répression à grande échelle, l’arrestation de ces 10 défenseurs des droits humains reconnus marque un nouveau tournant dans la dérive autoritaire du gouvernement turc. C’est aussi la première fois dans son histoire qu’Amnesty International voit deux de ses dirigeants dans un même pays emprisonnés, et cela en moins d’un mois. Aucun défenseur des droits humains ne peut se considérer encore à l’abri en Turquie.
Cette dérive n’a qu’un responsable : les autorités turques. Mais elle est grandement facilitée, voire encouragée, par l’absence ou la timidité des réactions de nos dirigeants européens, et particulièrement français. Il est temps que cela cesse et que les droits humains soient au cœur des relations de l’Union européenne et de la Turquie.
Nous, signataires, appelons les autorités françaises et européennes à adopter un discours et des actes enfin à la hauteur de la répression qui s’exerce contre la société turque dans son ensemble et contre ces défenseurs des droits humains en particulier.
Nous appelons les autorités turques à libérer immédiatement et inconditionnellement ces dix défenseurs des droits humains. Notre combat ne s’arrêtera que lorsqu’ils seront tous libres.
Organisations :
Camille Blanc, présidente et Sylvie Brigot-Vilain, directrice générale, Amnesty International France ; Umit Metin, coordinateur de l’Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie – ACORT ; Sylvie Bukhari de Pontual, Présidente Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement – CCFD ; Bernard Dreano, Président du CEDETIM, cofondateur du réseau Helsinki Citizens’ Assembly International ; Michel Tubiana, président réseau Euromed Droits ; Bénédicte Jeannerod, Directrice générale France, Human Rights Watch ; Malik Salemkour, Président Ligue des des Droits de l’homme ; Renée Le Mignot, présidente du Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples – MRAP ; Dominique Attias, Vice Bâtonnière et Frédéric Sicard, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris ; Christophe Deloire, Secrétaire général Reporters sans frontières ; Clarisse Talon, présidente Syndicat de la Magistrature ;Vincent Lanier, Premier secrétaire général, Syndicat National des Journalistes – SNJ ; Martin Pradel, avocat et Directeur des droits de l’Homme de l’Union Internationale des Avocats.
Personnalités :
Sophia Aram, comédienne ; Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel français, Professeur émérite à l’université Paris I – Panthéon-Sorbonne ; Juliette Binoche, comédienne ; Jane Birkin, chanteuse ; Jacques Bouyssou, Avocat, Ancien Membre du Conseil de l’Ordre ; Hamit Bozarslan, directeur d’études, EHESS ; C215, Graffeur ; Dan Franck, écrivain ; Olivier Gluzman, manager de Jane Birkin et directeur des Visiteurs du soir ; Kaddour Hadadi (HK), chanteur ; Isabelle Huppert, comédienne ; Agnes Jaoui, comédienne ; Angélique Kidjo, chanteuse ; Nicolas Lambert, comédien ; Marc Levy, écrivain ; François Morel, comédien ; Franck Pavloff, écrivain ; Natacha Régnier, comédienne ; Paul Rondin, Directeur délégué du Festival d’Avignon ; Lambert Wilson, comédien
«Liberté pour la directrice d’Amnesty Turquie et 9 autres défenseurs»