Les Turcs en aide aux sans-papiers.

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Dans la course à la régularisation, une association s’active pour constituer les dossiers.
BÉATRICE BANTMAN – Libération du  10 JUILLET 1997

Espérer. Le verbe revient sans cesse, et en français, quand on interroge les Turcs, les Chinois, les Africains qui, depuis l’annonce des régularisations, se sont précipités par centaines dans la petite permanence parisienne de l’Association des travailleurs turcs (ATT). Transformés en auxiliaires administratifs, complètement débordés, militants et bénévoles assistent les sans-papiers dans leurs démarches, les aident à remplir les formulaires pour les préfectures et à constituer leurs dossiers. «J’espère», dit Bayram, un jeune Kurde qui travaille «beaucoup et pour pas cher» depuis huit longues années à Paris. «J’espère», répète Ismaïl, exploité depuis son arrivée en France dans les restaurants turcs, grecs, italiens ou juifs du quartier.

Un homme incarne, mieux que n’importe qui, cet espoir des sans-papiers depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir: El Hadj Diop, emprisonné dans les derniers jours de la droite pour violences à un policier ­ mais une cassette vidéo montre qu’il ne l’a pas touché. El Hadj Diop, en France depuis 22 ans, a été libéré hier et sera sans doute régularisé. Mais, après deux mois d’absence forcée, ce Sénégalais ne reconnaît pas la permanence où il avait l’habitude de venir conseiller les Chinois. En même temps que l’espoir ont crû l’affluence et l’attente.

Bousculade. Dans le salon, une famille chinoise, femme au tricot et enfants sages, patiente. Des hommes boivent le thé à la menthe, comme d’habitude. Mais jamais encore El Hadj n’avait vu cette bousculade. Il s’agit aujourd’hui de remplir les formulaires de la préfecture, ou de relire cette circulaire du ministère de l’Intérieur qui énumère les catégories de sans-papiers régularisables.

Cette association discrète a une longue histoire en matière de régularisations. Les Turcs, tailleurs très habiles, ont longtemps fourni des contingents de mercenaires, aussi spécialisés qu’exploités, à la haute couture française, Dior et Cardin en tête. En 1974, lorsque Giscard donne le coup d’arrêt à l’immigration, la demande ne se tarit pas. Et les Turcs continuent à venir clandestinement. En 1980, une grève de la faim éclate dans le Sentier. L’Association des travailleurs turcs, qui vient de naître, est à la pointe du combat. Après un jeûne de vingt-cinq jours, elle obtient la régularisation de 4 000 Turcs, deux ans avant la grande vague de régularisations de la gauche. Dix ans plus tard, après des grèves de la faim dans toute la France, c’est encore l’ATT qui fait accorder le statut de réfugiés politiques à 20 000 Turcs déboutés du droit d’asile.

«L’atmosphère était alors bien différente, très défavorable aux immigrés», dit Umit, actif dans l’association depuis cette époque. «Aujourd’hui, nous nous sentons plus soutenus.» Deux semaines à peine après la publication de la circulaire du ministère de l’Intérieur, les plus dégourdis ont déjà fini les formalités. Il y a eu beaucoup d’énervement et de bousculades: «J’étais actif, j’ai reçu des coups de matraque, pas toi», ont dit les militants chinois du troisième collectif pour passer les premiers. Ceux qui restent ne sont pas forcément les cas les plus faciles: des célibataires, des déboutés du droit d’asile qui risquent de se retrouver à la marge des régularisés. «Tu ne travailles pas, mon frère, même au noir? demande un permanent à Amadou, un jeune Sénégalais sans famille ni profession. Et comment tu vis? Tu as une femme riche? Tu peux tout nous dire, on n’est pas la police, ici.»

Escroquerie. Les escrocs ont vite appris à profiter de l’impatience des sans-papiers. Depuis un an déjà, une association bidon demandait 800 F pour une carte sans valeur. Des avocats marrons ont distribué leurs cartes, écrites en chinois ou en turc, dans les files d’attente des préfectures, et de nombreux sans-papiers ont déjà déboursé plus de 50 000 F en démarches infructueuses. Des formulaires de la préfecture ont été vendus à des naïfs, des fabriques de fausses fiches de paie tournent dans l’ombre et les promesses d’embauche, censées faciliter les régularisations, se négocient pour quelques milliers de francs. «J’avais prévenu la préfecture de Paris, explique Umit. Comment peut-on exiger des fiches de paie, des ressources stables, de sans-papiers contraints par définition à la clandestinité?» Déçu, Umit constate que la circulaire a été élaborée sans consultation des sans-papiers et que les questions des associations sont restées sans réponse. «Ce n’est pas une circulaire, dit-il en agitant la feuille. On n’a aucune garantie, on ne sait pas ce qui va se passer. On sait simplement que les problèmes ne seront pas résolus et que la lutte va continuer.» Une lutte qui, reconnaît Umit, ne profite pas seulement aux sans-papiers. «Eux, les plus misérables de tous les immigrés, ont quand même forcé la France à revoir l’ensemble de sa politique d’immigration».

BANTMAN Béatrice

http://www.liberation.fr/france/1997/07/10/les-turcs-en-aide-aux-sans-papiers-dans-la-course-a-la-regularisation-une-association-s-active-pour-_211131