Les sans-papiers ne restent pas sur leur faim.
|Les sans-papiers ne restent pas sur leur faim.
Les grévistes des Batignolles ont obtenu le réexamen de leur dossier.
CLAIRE LIENART – Libération 18 JUILLET 1998
Les sans-papiers des Batignolles ont annoncé, vendredi, l’arrêt de leur grève de la faim commencée le 16 juin dernier. Ils ont obtenu un réexamen d’ensemble de leurs dossiers. Jean-Pierre Chevènement a promis une réponse «rapide et explicite» à leurs demandes de régularisation. Est-ce l’effet du pavé dans la mare lancé jeudi par Charles Pasqua? La proposition du sénateur RPR des Hauts-de-Seine de régulariser tous les sans-papiers qui en ont fait la demande continue de susciter des réactions. «Charles Pasqua a tort, a assuré l’ancien garde des Sceaux RPR Jacques Toubon. C’est d’une certaine impuissance de l’Etat à appliquer la loi que souffre notre démocratie. Rien ne serait pire que de faire de cette incapacité un principe de gouvernement: la République n’y survivrait pas.»«Pasqua ne manque pas d’air», a lancé le PCF en dénonçant les arrière-pensées politiques de l’ancien ministre de l’Intérieur. «De Pasqua, rien ne m’étonne», a déclaré, de son côté, Jean-Marie Le Pen, lors de la journée de clôture de l’université d’été de son mouvement.
La soupe est arrivée au temple protestant des Batignolles juste après la bonne nouvelle, vers minuit. L’accord signé à 23h30 par les représentants du troisième collectif et le ministère de l’intérieur est accepté. Les vingt-neuf grévistes de la faim font aussitôt honneur à ce premier repas depuis trente et un jours.
Les membres de la délégation ont les yeux cernés. Mais ils sont contents. L’objectif de la grève, le réexamen loyal de tous les dossiers, est atteint. «Dans l’accord signé cette nuit, les sans-papiers ont leur chance», estime Emmanuel Terray, l’anthropologue de 63 ans qui a jeûné avec eux par solidarité. Une assemblée générale est organisée et c’est l’ovation. Pour remercier les négociateurs, le pasteur du temple des Batignolles qui les a accueillis, et surtout les grévistes.
Interrompu tantôt par les applaudissements, tantôt par les traducteurs chinois et turcs, Emmanuel Terray explique les termes de l’accord. Première victoire: la suspension des mesures d’éloignement pendant l’examen des recours. Tous les dossiers vont être rouverts, l’interprétation de la circulaire du 24 juin 1997 sera plus large, notamment sur le temps de séjour minimum requis pour être régularisable. Par ailleurs, le fait d’avoir une partie de sa famille au pays ne constituera plus un obstacle; des dizaines de dossiers avaient été refusés pour ce motif, parfois à cause d’un seul enfant. Certains critères restent cependant à discuter: ce sera la tâche de la commission consultative, dont l’attitude, jeudi soir, semblait compréhensive. Et des réunions régulières auront lieu avec le ministère.
«L’effet Mondial». Certaines de ces mesures ne concernent que les membres du troisième collectif. «Mais, relève Emmanuel Terray, dans un Etat de droit et avec un ministre de l’Intérieur si soucieux des valeurs républicaines, les membres du troisième collectif ne peuvent bénéficier d’un traitement privilégié. L’accord devrait donc s’étendre à l’ensemble des sans-papiers.»
Les membres du collectif n’en reviennent pas. «Quand nous sommes arrivés mercredi après-midi, se souvient Umit Metin, l’un des médiateurs, nous avons senti que l’ambiance était constructive. Rien à voir avec la réunion de dimanche, à l’issue de laquelle l’Intérieur avait déclaré que les sans-papiers refusaient de négocier.» Pourquoi ce brusque changement de ton? «Peut-être ont-ils eu peur d’un nouveau Saint-Bernard, estime Umit. Et puis ils ont voulu profiter de l’effet Mondial. Le contexte était bon.»
Phase de réalimentation. Menderes Karadal, 34 ans, gréviste de la faim turc, se déclare «heureux que la France, avec son équipe d’étrangers, ait gagné». Arrivé en 1990, il a demandé l’asile politique. Refus. Quand son visa a expiré, il a saisi la commission de recours. Nouveau refus. Ce mois de jeûne, il l’a passé à discuter, à se promener de long en large dans les couloirs. «Beaucoup d’amis venaient. On parlait des papiers et du football. C’est très fatigant. La première semaine, surtout, c’était dur. Plus récemment, on a commencé à avoir mal à la tête. Je vais rester encore une semaine sous l’oeil des médecins, pendant la phase de réalimentation. De toutes façons, le gros stress est passé.»
Maux d’estomac. Trois des grévistes ont dû être hospitalisés. L’un avait été obligé de rompre le jeûne à cause de maux d’estomac. Les deux autres ont subi des examens. Pour tous, il s’agit maintenant de reprendre des forces. Mliu-Yong-Nan boit son lait de soja à petites lampées. Sa joie est de la même nature: réelle mais mesurée. «Je ne serai content à 100% que quand j’aurai mes papiers.» Entré en France en 1990, il a a été rejoint par sa femme l’année suivante, puis par sa fille et sa belle-mère en 1996. Il a un sourire las. «Depuis un mois, on se vide peu à peu de nos forces. Il y avait beaucoup de monde ici. C’est bien d’avoir du soutien, mais c’est bruyant. Difficile de trouver le sommeil dans ces conditions. On ne parlait que de ça, les papiers, la lutte, en chinois et aussi un peu en français, avec les Turcs. On a été très liés tout le temps: ici, il n’y a que des sans-papiers.» A l’atmosphère de victoire, Mliu-Yong-Nan apporte son bémol: «De toutes façons, ces papiers on les a payés trop cher.».
LIENART Claire