Turkan, régularisée « à titre humanitaire » mais en situation provisoire depuis huit ans
|Turkan, régularisée « à titre humanitaire » mais en situation provisoire depuis huit ans
Sylvia Zappi – LE MONDE du 20 novembre 1999
DERRIERE un sourire timide et des mains qui ne cessent de tripoter son passeport, Turkan Toktas cache son angoisse et sa lassitude. Voici huit ans qu’elle tente d’obtenir une carte de résidente pour sortir de la précarité; huit ans qu’on la lui refuse. Régularisée depuis 1991, suite “ la grève de la faim des déboutés du droit d’asile turcs, elle est soumise depuis lors au régime du renouvellement annuel d’une simple carte de séjour provisoire. Une situation précaire “ faire frémir les » étrangers récemment régularisés. Cette petite femme brune aux cheveux courts, Kurde originaire de l’est de la Turquie, ne comprend pas qu’après ce qu’elle a vécu, on puisse douter de sa détermination “ rester en France.
Son périple commence en 1989, lorsqu’elle arrive clandestinement “ Paris avec son mari, fuyant la répression turque et la misère. Leurs deux enfants sont restés au village; ils les rejoindront quand le couple aura obtenu l’asile politique.
La vie d’exil est trop dure dans une grande ville dont on ne connaît pas la langue. Les deux demandeurs d’asile travaillent sans relâche dans les ateliers de confection : clandestins, sans-papiers et non déclarés. Un an plus tard, la réponse de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) vient casser leur rêve : ils sont déboutés, comme des dizaines d’autres Turcs.
Au printemps, 54 Kurdes déboutés investissent l’église Saint-Joseph dans le 11e arrondissement de Paris, pour entamer une longue grève de la faim. Turkan Toktas est une des rares femmes “ participer au mouvement. Après un mois de jene, le gouvernement annonce une régularisation « “ titre humanitaire ». Turkan reçoit le précieux sésame pour sortir de la clandestinité : une carte temporaire d’un an. Les enfants, entrés entretemps sur le territoire français, obtiennent, comme le mari, un titre de séjour.
Depuis, année après année, la carte demeure provisoire, alors que les médiateurs avaient obtenu que après trois ans de séjour régulier, une carte de dix ans pourrait être délivrée aux anciens déboutés. Nombre d’anciens grévistes de la faim l’ont obtenu, mais pas Mme Toktas.
ALIGNER LES PREUVES DE TRAVAIL
Chaque année, deux mois avant l’expiration de son timbre collé dans son passeport, elle remplit le formulaire envoyé par la préfecture et aligne ses preuves de travail régulier : une succession de contrats temporaires dans différents ateliers de confection. Un puzzle qui ne répond pas “ la continuité• de l’emploi exigée pour obtenir une carte de résident. Comment faire rentrer dans ces, cases la réalité professionnelle d’un secteur où les CDD et le travail “ la pièce sont monnaie courante, où les entreprises ferment et rouvrent au gré des faillites et des changements de propriétaires ?
VA-ET-VIENT À LA PRÉFECTURE
La couturière travaille dur, mais gagne sa vie correctement : un SMIC déclaré, plus des primes “ la pièce. Le couple habite un pavillon qu’il loue 4 200 francs par mois “ Cergy (Val-d’Oise) et rêve d’acheter un logement. Mais avec un titre de séjour temporaire, aucune banque n’a voulu lui accorder de prêt.
Les va-et-vient “ la préfecture en quête d’un récipissé de trois mois reconduit trois fois dans l’année avant d’obtenir la carte ont fini par entamer la détermination de la jeune femme. A chaque fois, la peur d’une pièce qui manque, voire d’un refus, lui font craindre le retour “ la clandestinité. « Cela, fait huit ans que Turkan cotise et elle est toujours en situation de précarité. On lui refuse sa carte de dix ans sous le prétexte d’un travail irrégulier. Mais comment voulez-vous qu’elle puisse se faire embaucher en, CDI avec une carte d’un an ? », s’insurge Umit Metin, responsable de l’Association des travailleurs turcs. Les larmes aux yeux, Mme Toktas avoue en avoir « marre ». « Je veux ma carte de dix ans ! Je pourrais enfin m’inscrire au chômage pour prendre des cours de français et chercher un autre travail », assure la jeune femme, qui, dans un sursaut de fierté, se ressaisit,: « Je ne veux plus subir mais ,construire.