Du liant dans l’assoc’
|Du liant dans l’assoc’
DIDIER ARNAUD ET CHARLOTTE ROTMAN
Libération du 20 OCTOBRE 2007
«Tu vois celui qui a un bocal sur la tête, aux Abbesses?»
Lundi 20h30. Arcane 18 (XVIIIe).
On a connu plus glauque comme local associatif. Des lumières douces, une immense bibliothèque remplie de livres, des canapés colorés. L’apéro est servi. On a envie de s’attarder. Une petite fille blonde vient dire bonsoir. On est chez Yann (éducateur à la Protection judiciaire de la jeunesse) et Cécile (gérante d’une PME), rue Feutrier, dans le XVIIIe, les fondateurs de l’association Arcane 18 (une référence à Artaud). L’ordre du jour de la réunion, qui rassemble une dizaine de membres, est fixé, mais personne n’est à cheval sur le déroulé. On papote, on lance des idées et on voit comment elles retombent. Il y a un charme dans ce fourbi. Yann passe vite sur les questions de financement et préfère parler des projets. L’association n’a que 6 mois. Elle se veut «solidaire et festive». Elle rassemble des voisins, des parents qui se sont connus à l’école, des potes. Cécile et Yann ont été jusqu’à enrôler Franck, l’ancien instituteur de leur fille, qu’ils ont dû apprendre à tutoyer. Leslie, qui habite la rue d’à côté, est venue, elle, car «une amie qui connaissait quelqu’un avait vu l’info quelque part». Fin septembre, ils ont fait un repas de quartier. Au printemps, ils veulent à nouveau occuper la rue. «On veut faire autre chose qu’un énième vide-grenier, un truc qui ait une cohérence : on veut être dans l’espace public, s’en servir.» Marie-Sophie propose de «tenir la baraque à frite», Leslie veut faire venir un jongleur qu’elle connaît. «Tu vois celui qui a un bocal sur la tête aux Abbesses ?» demande Yann. Franck peut amener des musiciens. Il est 23 heures, personne n’a envie de partir.
«Ils inventaient des poussettes pour sortir 8 enfants en même temps»
Mercredi 11 h. Les petits lardons (Xe).
Dans l’entrée, quelques demandes griffonnées sur un tableau: «Nous avons besoin de marrons pour une activité» ou, plus impératif : «Désolée, mais le sèche-linge et la machine à laver sont à vider…» Au moins, on est prévenus. Des feuilles de permanence sont affichées, avec, heure par heure, les tâches assignées aux parents. Ici, ce sont eux qui font tourner la crèche. Ce matin, Camille Constantine, 26 ans, la présidente de l’association, est «de perm’». C’est le déjeuner. Dans le petit réfectoire baigné de lumière, un grand panneau récapitule le nom des enfants, leur âge, leur poids… et le numéro de portable des parents. «On est tous au courant de tout,explique Camille, on peut s’appeler le soir pour avoir des infos sur la journée.» Ici, on trouve des familles pour qui la crèche associative est un projet, un choix. Et d’autres qui n’ont tout simplement pas trouvé de place dans les structures municipales. «Ils n’ont pas le même investissement», regrette Camille. Sa propre mère était adepte des premières crèches parentales. A l’époque, ça relevait davantage du kibboutz. «C’était une bande de copains, ils faisaient eux même la bouffe, ils inventaient des poussettes pour sortir 8 enfants en même temps.» Les petits lardons, ouverte en 1994, accueille 24 enfants chaque année.
«Le canard sort demain»
Jeudi 11 h. Quartiers libres (XIXe).
Le quartier, elle le connaît depuis longtemps. Elle est née à Montrouge, a vécu près de la gare de Lyon, mais elle arpente Belleville depuis cinquante ans. Il y a vingt ans, elle s’y est installée, dans un immeuble moderne. Sur son bureau, ce matin, traînent les vestiges du prochain numéro du journal dont elle s’occupe. On lit dans Quartiers libres les mémoires d’un épicier de la Villette né en 1862 exhumées des archives d’un ami, des promenades dans un XIXe méconnu, mais aussi des articles consacrés à la chasse aux sans-papiers ou à des initiatives associatives de l’est parisien. Sans arrêt, le téléphone sonne. Au bout du fil, on prend des nouvelles d’elle, et du magazine. «Le canard sort demain, après je fais la livraison.» Antoinette Angénieux est née en 1925. Après la guerre, elle est embauchée dans une imprimerie, cité d’Angoulême, dans le XIe. «A Ménilmontant, il y avait un gars qui avait deux salariés, mais quand il y avait une commande, il faisait travailler toutes les concierges du quartier, et il nous livrait toujours à temps.» Elle qui aime les bistrots parisiens a toujours adoré ce quartier. A l’époque, on y trouvait des ateliers, des tailleurs d’Europe centrale, des cafés arabes. «On connaissait tout le monde. Aujourd’hui les gens s’enferment de plus en plus.» Son association Quartiers Libres refuse ce délitement. Antoinette envoie une lettre bourrée d’informations sur la vie associative du quartier à plus d’un millier de personnes, une fois par mois. Quartiers libres est vendu (surtout en librairie) dans les XIXe et XXearrondissements.
«Il n’y a pas d’obligation, c’est juste du civisme»
Vendredi 14 h. Association Socrate (Xe).
Il fait le tour des classes. En fait, il va chercher les lycéens là où ils se trouvent. Aujourd’hui, c’est dans une terminale du lycée Colbert (Xe). Jean Pecqueur-Pautard présente Socrate (pas le philosophe), l’association (Soutenir, organiser, créer des relais d’apprentissage, tous ensemble), qu’il a fondée en 2001. Il recrute des lycéens pour faire du soutien scolaire auprès d’un enfant ou d’un collégien d’un quartier défavorisé. «Pourquoi des lycéens ? Parce que vous n’êtes pas tout à fait des adultes, et que ces enfants sont souvent en rupture avec les adultes. Soit ils foutent tout en l’air dans la classe, soit ils se referment. Vous, vous pouvez les débloquer.» Dans la salle de cours, les élèves l’écoutent sans broncher. On a du mal à voir s’ils sont convaincus. «Il n’y a pas d’obligation, c’est juste du civisme, de la solidarité. Mais si vous vous engagez pour une heure par semaine, on vous demande d’être là.» Lana (terminale ES à Colbert) a été la tutrice d’un petit garçon de 9 ans toute l’année dernière. «C’est important d’être là pour eux. Et puis, au bout d’un moment, on se rend compte que l’enfant nous attend.» Anne-Maud a elle aussi parrainé une enfant de la même école primaire. «Elle était très timide au début, explique-t-elle. Elle me disait qu’elle avait compris, mais c’était pas vrai, elle avait honte. Puis la confiance est venue et elle osait me dire : « ça, je n’y arrive pas ».» Toutes les deux recommenceront le soutien cette année. La proviseure de Colbert, l’un des 40 établissements partenaires (l’an dernier), voit d’un très bon oeil cette«responsabilisation des élèves». En 2006, 60 se sont portés volontaires sur 600. En tout, Socrate compte sur 400 lycéens volontaires (dont une majorité de filles).
«La merde chez les autres, pas chez vous»
Lundi 11 h. Association des commerçants et riverains de Château-Rouge (XVIIIe).
Il sort des archives photos, des coupures de presse, des lettres officielles. Un dossier à charge, monté patiemment depuis des années. Là, c’est une collection de photographies prises à la sauvette : on voit des trafics (clopes, drogue, contrefaçons…). «Ces photos ont été faites depuis les balcons de certains adhérents. Dans la rue, c’est impossible.» Tout est bon pour démontrer aux pouvoirs publics et à la mairie qu’il faut nettoyer Château-Rouge. Daho Bouabsa-Soulié, un ancien militaire à la tête de l’Association des commerçants et riverains de Château-Rouge, crée il y a trente-sept ans, est l’homme de ce combat. Contre la «promiscuité», le «manque d’hygiène et de tranquillité». Il veut «délocaliser le marché exotique». C’est-à-dire déloger les commerçants africains et, du même coup, leurs clients, qui ont «envahi» les trottoirs, et se débarrasser de leurs fourgonnettes pleines de marchandises immobilisées sur les places de stationnement. «Il n’y a plus de commerces de proximité européens, ici, déplore-t-il. Le dernier café n’a pas trouvé repreneur : il a dû vendre à des Asiatiques.»«Et ne me faites pas passer pour un raciste», prévient-il, en insistant sur ses origines algériennes. Il ajoute: «On pense aussi au bien-être de ceux qui viennent faire leurs achats.» L’association s’est également battue contre l’installation de structures pour les toxicomanes dans le quartier. «Quand on accueille les drogués, on accueille les dealers.» Un parfait exemple du Nimby (not in my backyard) ? Ou dit autrement : «Vous voulez la merde chez les autres, pas chez vous», comme lui aurait balancé un ancien maire du XVIIIe. Daho Bouabsa-Soulié balaye tout : «La mixité n’est valable que dans certaines conditions. Ceux qui habitent ici trouvent que ce n’est pas viable.»
«Un concours, vous savez ce que c’est ?»
Samedi 14h30. Club international des jeunes à Paris (IIe).
Anne est allemande, Stéphan belge, Alexis béninois, Agnieszka polonaise. Ils se font la bise, un peu empruntés, se rafraîchissent la mémoire («On s’est vus à la dernière excursion») ou se demandent d’où ils viennent quand ils ne se connaissent pas. Ce samedi, ils se retrouvent pour une visite du quartier de l’Opéra. Marie-Gabrielle, étudiante en tourisme et histoire de l’art, fait la visite. Elle prend soin de bien se faire comprendre de ces étudiants souvent fraîchement débarqués à Paris. Quitte à hacher sa petite leçon : «Eclectisme, vous comprenez ?», «Un concours, vous savez ce que c’est ?» «La première semaine à Paris a été horrible», confie Anne, qui vient d’arriver pour une licence de lettres et d’allemand. Originaire de Bonn, elle espère voir ici d’autres étudiants, car elle a «du mal à rencontrer des Français». Roald, étudiant néerlandais en lettres classiques, veut lui aussi se faire des connaissances. Dans sa résidence universitaire du XVIIIe, il ne rencontre pas grand monde. Et son colocataire, chinois, ne parle pas français. Il y a dix ans, Alaa Homsi, est arrivé de Syrie pour des études de cinéma. Il ne connaissait personne, et rien n’existait pour rompre l’isolement des étudiants étrangers ou provinciaux. Il a fondé le club il y a cinq ans. 2 000 étudiants y passent chaque année.
«Un logement pour tous»
Mardi 9 heures. Collectif logement Paris XIVe.
Une femme et un homme, logés dans des hôtels de fortune, viennent trouver conseils et réconfort chaque mardi matin auprès du Collectif logement Paris XIVe. La permanence ? L’association la tient dehors. Au milieu des banderoles «Un logement pour tous», d’un thermos de café et des cigarettes russes distribuées à la régalade. Le Collectif s’est créé il y a deux ans, à la suite de l’expulsion de squatteurs de la rue de la Tombe-Issoire. Moins médiatique que le DAL (Droit au logement), plus proche des habitants de son arrondissement. «En créant l’association, on a découvert l’ampleur du problème», dit un adhérent. Il y a 4 600 demandeurs de logement dans le XIVe. Leur action a des allures, disent-ils, de «tonneau des Danaïdes». Mais ils ont aussi le sentiment d’être plus proches des gens, dans une structure à taille humaine (un noyau dur d’une dizaine de personnes). Aujourd’hui, le Collectif suit plus d’une centaine de familles.
«On n’est clairement pas du côté des Versaillais»
Samedi 15 h. Association des amis de la Commune (XIIIe).
Riton-la-manivelle est à la manoeuvre. Sur scène, sa voix porte. Il est question de Jules Vallès, qui a fait une «carrière de plumitif» et qui trouvait «les ouvriers plus bohèmes et sympas que les bourgeois». Le 125e anniversaire de l’Association des amis de la Commune est un drôle de truc. Il y a des gens avec des foulards rouges, des tee-shirts siglés «Amis de la Commune», des livres à la vente qui parlent des héros… de la Commune. Louise Michel, Jules Guesde, tous les autres. «On est clairement du côté des communards et pas des Versaillais», dit Jean Louis Robert, historien, mais pas de la Commune. «Ce n’est pas une association bobo, mais populaire», tranche-t-il. Il trouve que cette période est méconnue, qu’elle a suscité de l’hostilité, qu’elle a été «caricaturée» par ses adversaires. Mais qu’elle provoque un regain de curiosité chez les Parisiens. A ce propos, il note un léger mieux. La mairie a même fait éditer une plaque d’histoire de la Commune à l’attention des professeurs. Et ça se bouscule au portillon pour les visites du Paris communard, réservées aux membres de l’association (1 800 au total). Tour de la capitale en bus, visite des lieux les plus emblématiques : de l’hôtel de ville à Montmartre en passant par le mur des Fédérés. C’est déjà complet. ça a lieu le 11 novembre. C’est la date de l’armistice. Rien à voir avec la Commune.
«Ce n’est pas une association communautaire»
Dimanche 14h30. Acort (Xe).
Solmaz, Pir-Ahmet, Erdener, Cengiz et leur groupe Rüzgar («Le vent») grattent la guitare et le saz, un genre de cithare, et chantent. Là, c’est une histoire d’amour, écrite après une grève de la faim de prisonniers politiques en Turquie. Ils sont tous kurdes, ont entre 25 et 30 ans, travaillent dans l’enseignement, le bâtiment, l’électricité. Cela fait trois ans qu’ils font partie d’Acort. «Nous ne sommes pas une association communautaire», prévient Umit Metin, le président. Acort est ouverte à tous. Prône la laïcité. Voudrait éviter que les problèmes turcs (par exemple entre Turcs et Kurdes) ne se reproduisent à l’identique ici. On y voit des Turcs, mais aussi des Chinois et des Thaïlandais venir corriger leur français. On y croise toutes les nationalités à la recherche d’un conseil pour des papiers administratifs, la retraite. A l’origine, l’association a été créée pour que les «originaires de Turquie» deviennent citoyens. Du moins soient poussés à le devenir. Umit est persuadé que les Turcs en France doivent s’ouvrir sur la société française, y participent activement, et ne restent pas entre eux. Pour ce faire, il les pousse à intégrer les structures associatives françaises, celles des parents d’élèves, voire les partis politiques.
«Une alternative au monde marchand»
Vendredi 13 h. La Rôtisserie (Xe).
C’est d’abord un projet «bizarre». Hors norme et exemplaire. Des gens frappent à la porte pour se faire expliquer comment ça marche, pour reproduire l’idée chez eux. Du club de prévention à l’équipe de foot de quartier, on ne compte plus tous ceux qui sont passés ici. Dans ce lieu autogéré, on aime partager, réfléchir sur les projets des autres, les faire évoluer. La Rôtisserie, c’est un restaurant associatif. Avec des bancs sur lesquels se serrer, et des tabourets fixes, embryon de déco recherchée. Le local est minuscule. Dans ce qu’on mange, il y a de l’«éthique culinaire». Jamais de surgelé. Que du frais. Au menu ce midi, des crevettes dans une sauce épicée avec du riz. On s’assied où il y a une place. Cela ne coûte pas grand-chose (cinq euros le plat du jour). «Une alternative au monde marchand», dit le site de l’association. Le principe du lieu : permettre à d’autres (associations) de venir faire la cuisine e,t avec l’argent ainsi dégagé, financer les projets. Les visiteurs de la veille ont laissé un joyeux fatras : trop de bruit, la vaisselle sale, une flaque d’eau dans la cuisine. Ils se font gentiment rabrouer. La Rôtisserie ne compte que sur ses propres forces (aucune subvention). Mais ses forces risquent de bientôt lui manquer. Une procédure d’expulsion plane. L’agent immobilier qui louait le local a voulu tripler le loyer, puis l’a racheté, et il veut faire décamper les «rôtisseurs». Prochaine échéance en novembre. L’association fourbit ses armes et compte sur son réseau pour mobiliser. Le 10 novembre, elle organise une marche jusqu’à la porte de l’agent immobilier qui veut récupérer son bien.
ARNAUD Didier ROTMAN Charlotte
http://www.liberation.fr/villes/2007/10/20/du-liant-dans-l-assoc-_104252