Au seuil d’un nouveau millénaire, les mutations de notre société sont profondes et imprévisibles ; elles créent de nouveau champs de liberté et d’autre part remettent en cause des droits fondamentaux obtenus à l’issue de longues luttes sociales menées depuis deux siècles.
Les populations immigrées sont au premier rang de ceux qui subissent avec le plus de violence la force des oppressions nouvelles : étrangers dans le pays où ils résident, exploités, méprisés, exclus, les immigrés ont une volonté concrète de justice et d’égalité.
Afin de surmonter les difficultés d’ordre économiques, sociales, culturelles de notre époque, les citoyens ont besoin de créer des lieux et des outils de solidarité plus efficaces.
Pour les plus démunis, c’est une véritable question de survie. Pour tous c’est la volonté de créer un monde de paix, fraternel et plus juste.
Ces valeurs se sont retrouvées au cœur de l’engagement de L’Assemblée Citoyenne des Originaires de Turquie (L’ACORT), depuis vingt ans. Tout au long de ces années de lutte, de solidarité et d’espoir partagé, les hommes et les femmes qui ont fait L’ACORT ont cultivé ensemble ces idéaux d’émancipation, notamment pour les immigrés venus de Turquie.
Ainsi s’est forgée une mémoire de débats, d’entraide et de lutte pour permettre à chacun d’agir librement pour son avenir.
Les luttes successives pour la régularisation des sans papiers ont été autant de moments phares de l’histoire de L’ACORT: ceux à qui l’on ne reconnaît aucun droit, ont pris le droit de dire non.
En vingt ans, des milliers de citoyens originaires de Turquie se sont retrouvés à L’ACORT. Ils y ont échangé leurs idées, leurs vécus et leurs espoirs. Durant la courte histoire des immigrés de Turquie en France, L’ACORT a essayé d’être leur porte-voix, elle est devenue l’outil de leurs revendications.
Notre Histoire
Bien qu’elle ait été officiellement interrompue en France, en 1974, l’immigration en provenance de Turquie s’est en réalité poursuivie. Ainsi, dans les années 80, nombre d’immigrés originaires de Turquie se trouvaient en France, sans titre de séjour et de travail. Dès 1980, avec le soutien des travailleurs en situation régulière, le mouvement de revendication des » sans-papiers » s’est développé : il a eu pour résultat la régularisation de tous.
L’ACORT est le produit de ces luttes. Elle a eu, dès l’origine, une vocation nationale, et elle a motivé la création d’associations ailleurs, dans d’autres villes de France.
À l’époque l’état d’esprit des travailleurs immigrés se caractérisait par un grand attachement au pays d’origine où chacun espérait retourner un jour. Tout naturellement, la politique de L’ACORT reflétait cet état d’esprit : elle était axée essentiellement sur la vie politique et sociale en Turquie.
Le coup d’Etat de 1980 a renforcé cette orientation. Celle-ci a subi une transformation profonde à l’issue d’un long débat interne, et en réponse à une tendance réelle de la population immigrée de Turquie, qui a commencé à envisager, dès le milieu des années 80, la possibilité de s’installer définitivement en France.
Notre espoir de retourner en Turquie a laissé place à la volonté de construire notre vie ici. Nous avons trouvé un travail, acheté des maisons, créé des entreprises, des institutions, des associations, nos enfants sont scolarisés en France. La vie économique, sociale et politique de ce pays fait partie de nous-mêmes. Désormais nous pouvons dire : NOUS SOMMES D’ICI.
Au commencement, l’horizon de nos préoccupations et de nos débats était limité par nos problèmes. En agissant pour combattre les discriminations au quotidien, nous avons vu que la question de l’immigration ne concerne pas seulement les immigrés mais elle est centrale pour construire ensemble un vrai projet de société, ici même.
En effet, les structures sociales, mentales, culturelles et politiques des pays accueillant l’immigration sont remises en question par l’immigration.
Des contradictions criantes, sont ainsi mises en lumière :
Comment l’égalité reconnue en droit peut devenir effective pour tous, sans discriminations ? Comment faire de la différence non pas un obstacle mais une richesse ? Comment imaginer un projet de société où chacun quelque soit son origine puisse accéder à l’émancipation sociale, politique et culturelle ?
Les politiques développées jusqu’à aujourd’hui n’ont pas répondu à ces questions essentielles, elles ont contribué au contraire à la dégradation de la situation : les immigrés ont été condamnés aux pires conditions de vie. Elles ont surtout échoué face à la montée et à la banalisation du racisme, de la xénophobie et des comportements discriminatoires un peu partout en Europe.
En empêchant au nom de certains principes, la participation des immigrés à la vie démocratique, les politiques dites » d’intégration” ont abouti à l’exclusion et à la discrimination.
Hier comme aujourd’hui, en organisant les immigrés de Turquie, L’ACORT veut contribuer à l’élaboration de réponses satisfaisant les aspirations légitimes de citoyenneté pleine et entière, de tous ceux qui vivent ensemble dans ce pays.
Nos revendications et nos actions
La participation démocratique est notre principale revendication.
Pour la réalisation concrète de ce projet, nous agissons au quotidien contre toute forme de discrimination. Nous savons que le racisme n’est pas une idée, c’est un crime ; non seulement pour ceux qui en sont directement victime, mais aussi pour la société tout entière. Son dépassement est la première condition d’une démocratie véritable.
Nous voulons une société démocratique et multiculturelle, dans laquelle l’identité culturelle spécifique de chacun, loin de le distinguer des autres, n’a de sens que parce qu’elle enrichit les autres.
De même, nous condamnons les lois discriminatoires, comme les lois des étrangers actuellement en vigueur et qui introduisent dans la société les principes d’une répression exercée au détriment des immigrés.
Nous pensons que l’impossibilité pour une part importante de ceux qui vivent dans ce pays de disposer du droit de vote est un paradoxe majeur de la démocratie. Les résidents sont des citoyens à part entière, ils doivent disposer de tous les moyens d’expressions démocratiques.
La citoyenneté se construit sur tous les plans et au quotidien : là où nous habitons, là où nous travaillons, là où nous étudions.
Cette citoyenneté ne peut être réduite à la nationalité. Elle doit inclure tous ceux qui vivent en France, sans exclure personne. C’est la raison pour laquelle les membres de L’ACORT se saisissent pleinement de leurs droits citoyens, en prenant activement leur place dans toutes les organisations de société civile.
Ainsi, dans le quartier où nous vivons, nous voulons être associé aux décisions qui nous concernent et au-delà, être les partenaires d’une véritable démocratie locale participative. C’est le sens de notre participation active aux initiatives prises dans ce cadre par la municipalité et tous les acteurs locaux dans le 10ème arrondissement de Paris. Par ailleurs, L’ACORT est à l’origine du Collectif des Citoyens du Xème qui réunit les représentant de différents partis politiques et associations ainsi que des personnalités impliquées dans la vie sociale et culturelle de notre arrondissement, et qui vise à enrichir le débat citoyen.
Depuis les années 80, L’ACORT a été de tous les combats citoyens. Elle a été parmi les organisateurs de la “marche nationale pour l’égalité des droits” en 1982, des campagnes antiracistes, des manifestations pour le droit au regroupement familial (1984), pour les cartes de résident et contre les lois de naturalisation de 1986.
Elle a aussi été membre fondateur de la Maison des Travailleurs Immigrés (1981) et du Conseil des Associations d’Immigrés en France (1984) et du Conseil Français des Associations d’Immigrés de Turquie (1990) qui réunit des associations représentatives de différentes tendances et de différentes villes de France.
Dans le même esprit, en 1988, L’ACORT a été parmi les fondateurs de Mémoire Fertile qui réunissait des centaines d’associations d’immigrés agissant pour la reconnaissance d’une nouvelle citoyenneté.
Celle-ci a aujourd’hui une portée qui dépasse les frontières de la France : elle revêt une dimension européenne.
La citoyenneté européenne ne peut se construire sans la force vive des immigrés. Pour cela L’ACORT agit en participant en tant que membre fondateur, aux travaux du Forum des Migrants, qui représente auprès du Conseil de l’Europe les immigrés. Elle œuvre aussi pour construire un réseau de solidarité pleinement représentatif des associations d’immigrés en Europe.
Nos groupes de réflexion et d’action
L’ACORT est une plate-forme qui réunit des groupes autonomes. Aujourd’hui, ils sont au nombre de quatre : le collectif des sans-papiers, le groupe des femmes, le groupe des parents d’élèves et Arc-en-ciel qui réunit des jeunes.
Il est en effet très important que chaque question intéressant les membres de L’ACORT puisse être traitée par les personnes concernées en premier lieu.
À l’initiative des mouvements de sans-papiers en 1981, en 1991 et en 1997, L’ACORT a toujours soutenu la lutte de ceux qui sont exclus socialement et exploités économiquement. De grèves de la faim en manifestations, au fil des conquêtes difficiles, le groupe des sans-papiers a contribué à révéler une des contradictions majeures d’un modèle de société qui refuse aux hommes la liberté de circulation que l’on reconnaît aux marchandises. Il est un des composants essentiels du 3ème collectif des sans-papiers.
Pour les femmes, l’oppression sociale se double d’une autre violence ; violence invisible souvent, toujours acceptée dans une douleur sourde, sans voix ni contestation. Plus que d’autres, les femmes immigrées, originaires de Turquie ou d’ailleurs portent au quotidien, l’insupportable poids de cette déchirure culturelle, familiale et sociale. Le groupe “ femmes de Turquie” notre réseau est le lieu où se forgent les idées et les actions pour combattre l’aliénation dont sont victimes les immigrées.
L’idéal d’égalité peut et doit trouver dans l’école le lieu naturel de son épanouissement. Mais nombreuses sont les discriminations qui continuent de s’y développer, dont sont notamment victimes les enfants issus de familles non francophones et confrontés à la précarité.
Les parents d’élèves qui se réunissent à L’ACORT “Union des parents d’élèves originaires de Turquie” veulent résolument combattre ces inégalités inacceptables. Ils veulent aussi contribuer au dialogue citoyen entre tous ceux qui ont à cœur de restituer à l’école son rôle éminent dans le progrès social et culturel. Ils participent aux initiatives réunissant les parents d’élèves et les enseignants, ainsi qu’à celles qui visent à aider la scolarité des enfants.
Véritable laboratoire d’utopies, notre association est la scène d’une expression innovante des jeunes issus de familles immigrées de Turquie, qui se sont réunis, dès 1992 autour des valeurs communes de fraternité, de solidarité et d’égalité, avec la ferme conviction de construire leur vie en France et avec la volonté de combattre toutes les discriminations qui empêchent au quotidien leur émancipation. Une émission de radio, Arc-en-ciel, est leur voix pour faire entendre leurs revendications et les partager avec tous les jeunes de France, de quelques origines qu’ils soient. Ce même mot d’ordre a animé les fêtes de la fraternité qu’ils ont organisées.
Ce même esprit donne tout son sens au réseau d’information et de solidarité qu’ils construisent aujourd’hui : de Strasbourg, de Lyon, de Metz, de Nancy et de Saint-Claude des dizaines de jeunes ont répondu présent pour prendre part à cette initiative qui se veut nationale mais aussi européenne.
L’ACORT, c’est aussi de nombreuses activités qui dépassent le cadre de ces groupes : cours de français, aide-scolaire, animation théâtrale pour les enfants, les activités culturelles (débats, soirées, concerts, expositions, etc.).
De ce foisonnement d’activités et des échanges entre les groupes existants, pourront naître de nouveaux groupes autonomes. Des initiatives dans ce sens se mettent d’ores et déjà en place.
Notre fonctionnement
La démocratie que nous voulons pour la société est valable plus encore pour le fonctionnement interne de notre association.
Elle est régie par les principes d’égalité de tous les membres, de consensus et d’ouverture dans les débats ainsi que dans le processus de décision.
L’autonomie et l’égale représentation des groupes autonomes existants et à venir, constituent une garantie supplémentaire de démocratie.
À l’intérieur d’une plate-forme commune, tous les composants de L’ACORT participent librement à son fonctionnement. L’initiative des individus est encouragée, soutenue et placée comme une priorité de ce fonctionnement.
Les instances de direction de L’ACORT ne peuvent avoir de rôle hiérarchique, elles n’ont de sens que dans la mesure où elles coordonnent les décisions prises par l’ensemble des membres de notre association.
Nos principes éthiques de fonctionnement visent à préserver l’esprit de confiance mutuelle de nos membres.
Notre avenir
Depuis sa création, L’ACORT a évolué au rythme des changements qui ont affecté la population des immigrés de Turquie et la société française tout entière.
Sans nul doute, la vie politique, sociale et culturelle de la Turquie continue d’agir sur nous, mais notre expérience nous montre que nous devons porter nos perspectives d’organisation au-delà de nos préoccupations quotidiennes ; car nous partageons un destin commun, dans le pays qui nous accueille.
Nous devons agir ici et maintenant, autour des problèmes et revendications concrètes : L’ACORT s’organise à partir de cette exigence.
Alors qu’à l’origine, elle représentait surtout les travailleurs immigrés de Turquie, elle est aujourd’hui sur tous les fronts du combat citoyen.